Cité du Vatican, 25 décembre, 2021 / 8:11 PM
Vous trouverez ci-dessous le texte intégral de l'homélie du pape François pour la solennité de la Nativité du Seigneur, prononcée le 24 décembre 2021 dans la basilique Saint-Pierre.
Dans la nuit se lève une lumière. Un ange apparaît, la gloire du Seigneur enveloppe les bergers et, enfin, arrive l’annonce attendue depuis des siècles : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » (Lc 2, 11). Ce que l’ange ajoute est toutefois surprenant. Il indique aux bergers comment trouver Dieu descendu sur terre : « Voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (v. 12). Voici le signe : un enfant. Tout est là : un enfant dans la pauvreté crue d’une mangeoire. Il n’y a plus de lumières, de splendeur, de chœurs angéliques. Seulement un enfant. Rien d’autre, comme l’avait prédit Isaïe : « Un enfant nous est né » (Is 9, 5).
L’Évangile insiste sur ce contraste. Il raconte la naissance de Jésus en commençant par César Auguste qui recense la terre entière : il montre le premier empereur dans sa grandeur. Mais, tout de suite après, il nous emmène à Bethléem, où il n’y a rien de grand : juste un pauvre enfant emmailloté, entouré de bergers. C’est là qu’est Dieu, dans la petitesse. Voici le message : Dieu ne chevauche pas dans la grandeur, mais descend dans la petitesse. La petitesse est la voie qu’il a choisie pour nous rejoindre, pour toucher notre cœur, pour nous sauver et nous ramener à ce qui compte.
Frères et sœurs, alors que nous nous tenons devant la crèche, regardons-en le centre : allons au-delà des lumières et des ornements – qui sont beaux! – et contemplons l’Enfant. Dans sa petitesse, il y a Dieu tout entier. Reconnaissons-le : “Enfant, tu es Dieu, Dieu-enfant”. Laissons-nous traverser par cet étonnement scandaleux. Celui qui embrasse l’univers a besoin d’être tenu dans les bras. Lui, qui a fait le soleil, a besoin d’être réchauffé. La tendresse en personne a besoin d’être choyée. L’amour infini a un cœur minuscule, aux faibles battements. La Parole éternelle est « enfant », c’est-à-dire incapable de parler. Le Pain de Vie doit être nourri. Le Créateur du monde est sans demeure. Aujourd’hui, tout est renversé : Dieu vient petit dans le monde. Sa grandeur s’offre dans la petitesse.
Et nous – demandons-nous – savons-nous accueillir ce chemin de Dieu ? C’est le défi de Noël : Dieu se révèle, mais les hommes ne le comprennent pas. Il se fait petit aux yeux du monde et nous continuons à chercher la grandeur selon le monde, peut-être même parfois en son nom. Dieu s’abaisse et nous voulons monter sur un piédestal. Le Très-Haut indique l’humilité et nous voulons paraître. Dieu part à la recherche des bergers, des invisibles ; nous recherchons la visibilité. Jésus naît pour servir, et nous passons notre temps à courir après le succès. Dieu ne cherche pas la force et le pouvoir, il demande la tendresse et la petitesse intérieure.
Voilà ce que nous pouvons demander à Jésus pour Noël : la grâce de la petitesse. “Seigneur, apprends-nous à aimer la petitesse. Aidez-nous à comprendre que c’est la voie de la vraie grandeur”. Mais qu’est-ce que cela signifie, concrètement, accueillir la petitesse ? Tout d’abord, croire que Dieu veut venir dans les petites choses de nos vies, il veut habiter les réalités quotidiennes, les gestes simples que nous accomplissons à la maison, en famille, à l’école, au travail. C’est dans nos vies ordinaires qu’il veut réaliser des choses extraordinaires. Et c’est un message de grande espérance : Jésus nous invite à valoriser et à redécouvrir les petites choses de la vie. S’il est là avec nous, que nous manque-t-il ? Laissons alors derrière nous les regrets de cette grandeur que nous n’avons pas. Renonçons aux plaintes et aux visages tristes, à l’avidité qui nous laisse insatisfaits ! La petitesse, l’étonnement de ce petit enfant : voilà le message.
Mais il y a plus. Jésus ne veut pas seulement venir dans les petites choses de notre vie, mais aussi dans notre petitesse : dans ce qui nous fait nous sentir faibles, fragiles, inadéquats, peut-être même ratés. Ma sœur, mon frère, si, comme à Bethléem, les ténèbres de la nuit t’entourent, si tu sens une froide indifférence autour de toi, si les blessures que tu portes en toi crient : “Tu ne comptes pas, tu ne vaux rien, tu ne seras jamais aimé comme tu le voudrais”, ce soir Dieu répond. Ce soir, il te dit : “Je t’aime comme tu es. Ta petitesse ne m’effraie pas, tes fragilités ne m’inquiètent pas. Je me suis fait petit pour toi. Pour être ton Dieu, je suis devenu ton frère. Frère bien-aimé, sœur bien-aimée, n’aie pas peur de moi, mais retrouve en moi ta grandeur. Je suis proche de toi et je te demande seulement cela : fais-moi confiance et ouvre-moi ton cœur”.
Accueillir la petitesse signifie une chose de plus : embrasser Jésus dans les petits d’aujourd’hui. C’est-à-dire l’aimer dans les derniers, le servir dans les pauvres. Ce sont eux qui sont les plus semblables à Jésus, né pauvre. Et c’est en eux qu’il veut être honoré. En cette nuit d’amour, qu’une seule peur nous saisisse : celle de blesser l’amour de Dieu, le blesser en méprisant les pauvres par notre indifférence. Ils sont les préférés de Jésus, et ils nous accueilleront un jour au Ciel. Une poétesse a écrit : « Celui qui n’a pas trouvé le Ciel ici-bas le manquera là-haut » (E. Dickinson, Poems, P96-17). Ne perdons pas de vue le Ciel, prenons soin de Jésus dès maintenant, en le choyant dans les personnes démunies, parce qu’il s’est identifié à elles.
Regardons encore la crèche et constatons que Jésus, à sa naissance, est entouré de petits, de pauvres. Ce sont les bergers. Ils étaient les plus simples, et ils ont été les plus proches du Seigneur. Ils l’ont trouvé parce qu’ils « vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux » (Lc 2, 8). Ils étaient là pour travailler car ils étaient pauvres ; leur vie n’avait pas d’horaire mais dépendait du troupeau. Ils ne pouvaient pas vivre comme et où ils le voulaient, mais ils s’adaptaient aux besoins des brebis qu’ils gardaient. Et Jésus naît là, près d’eux, près des oubliés des périphéries. Il vient là où la dignité humaine est mise à l’épreuve. Il vient ennoblir les exclus et se révèle d’abord à eux : non pas à des personnages cultivés et importants, mais à des personnes pauvres qui travaillent. Ce soir, Dieu vient remplir de dignité la dureté du travail. Il nous rappelle combien il est important de donner une dignité à l’homme par le travail, mais aussi de donner une dignité au travail de l’homme, car l’homme est seigneur et non esclave du travail. En ce jour de la Vie, nous répétons : plus de morts au travail ! Et engageons-nous à cela.
Regardons une dernière fois la crèche en élargissant notre regard jusqu’à ses limites, où nous apercevons les mages, en pèlerinage pour adorer le Seigneur. Regardons et comprenons que tout ce qui entoure Jésus est recomposé dans l’unité : il n’y a pas seulement les derniers, les bergers, mais aussi les savants et les riches, les mages. À Bethléem, les pauvres et les riches sont ensemble, ceux qui adorent comme les Mages et ceux qui travaillent comme les bergers. Tout se recompose lorsque Jésus est au centre : non pas nos idées sur Jésus, mais lui, le Vivant. Alors, chers frères et sœurs, retournons à Bethléem, retournons aux origines : à l’essentiel de la foi, au premier amour, à l’adoration et à la charité. Regardons les mages en pèlerinage et, en tant qu’Église synodale, en chemin, allons à Bethléem, là où Dieu est en l’homme et l’homme en Dieu ; où le Seigneur est à la première place et adoré ; où les derniers occupent la place la plus proche de lui ; où bergers et mages se tiennent ensemble dans une fraternité plus forte que toutes les catégories. Que Dieu nous accorde d’être une Église adoratrice, pauvre et fraternelle. Voilà l’essentiel. Retournons à Bethléem.
Il nous est bon d’y aller, dociles à l’Évangile de Noël qui présente la Sainte Famille, les bergers, les mages : tout un peuple en chemin. Frères et sœurs, mettons-nous en route, car la vie est un pèlerinage. Levons-nous, réveillons-nous car cette nuit une lumière s’est levée. C’est une lumière douce qui nous rappelle que, dans notre petitesse, nous sommes des enfants bien-aimés, des enfants de la lumière (cf. 1 Th 5, 5). Réjouissons-nous ensemble car personne n’éteindra jamais cette lumière, la lumière de Jésus qui depuis cette nuit brille dans le monde.
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