Rumbek, 07 février, 2024 / 11:00 PM
L'évêque d'origine italienne, Mgr Christian Carlassare, du diocèse catholique de Rumbek au Soudan du Sud, retrace son parcours vers la vie religieuse et missionnaire jusqu'à Sainte Joséphine Bakhita.
Dans une réflexion partagée avec ACI Africa avant le 8 février, jour de la fête de la sainte née au Soudan, qui est la patronne des victimes de l'esclavage moderne et de la traite des êtres humains, Mgr Carlassare reconnaît Sainte Bakhita comme une "compagne et protectrice" dans son service sacerdotal initial, et maintenant dans son ministère épiscopal, au Soudan du Sud.
"Sainte Joséphine Bakhita est une présence ferme dans mon parcours vocationnel pour la simple raison que je suis né à Schio (Italie), la même ville où Sœur Bakhita a vécu au service de mon peuple pendant des périodes très douloureuses et les deux guerres mondiales", a déclaré Mgr Carlassare, rappelant son appartenance à la Congrégation missionnaire internationale des Filles de la Charité canossiennes.
Née à Olgossa dans la région soudanaise du Darfour en 1869, Bakhita, qui avait trois frères et deux sœurs, avait six ans lorsque sa sœur aînée a été enlevée. Quelques années plus tard, elle est à son tour enlevée ; ses ravisseurs lui donnent le nom de "Bakhita", un mot arabe que l'on peut traduire par "celle qui a de la chance" ou "celle qui est chanceuse".
Ses tentatives pour échapper à ses ravisseurs n'ont pas porté leurs fruits, puisqu'elle a été reprise et vendue au chef d'El Obeid, qui l'a ensuite vendue à un général turc basé dans la région du Kordofan, au Soudan. Bakhita a subi des tortures physiques qui l'ont marquée pendant sa période d'esclavage. Elle a été emmenée à Khartoum, la capitale du Soudan, où le consul italien, Callisto Legnani, l'a rançonnée.
Callisto Legani a ramené Bakhita avec lui en Italie. Pendant son séjour en Italie, elle est confiée à la famille Micheli, propriétaire d'un hôtel à Port-Soudan, qui a l'intention d'emmener Bahkita avec elle. Elle est devenue la nounou de la famille Micheli jusqu'à ce que celle-ci la confie aux sœurs canossiennes à Venise, dans le nord de l'Italie, lorsqu'elles se rendaient au Soudan pour affaires.
Les sœurs canossiennes se sont occupées de Bakhita pendant la bataille juridique qui s'est ensuivie pour la libérer de l'esclavage. Un tribunal italien a finalement décidé que, l'esclavage ayant été interdit au Soudan avant sa naissance, Bakhita n'était pas légalement une esclave.
À Venise, Bakhita rejoint le catéchuménat et se convertit au christianisme. Neuf mois plus tard, en novembre 1889, Mme Maria Turina Micheli retourne à Venise pour ramener les filles avec elle en Afrique. Cependant, Bakhita refuse de retourner au Soudan avec la famille Micheli. Après l'intervention du cardinal patriarche de Venise et de représentants du gouvernement, Maria Micheli a compris que l'esclavage de Bakhita était terminé et qu'elle ne pouvait être renvoyée de force à Port-Soudan contre son gré.
Forte de sa liberté retrouvée, Bakhita choisit de recevoir les sacrements du baptême, de la confirmation et de la première communion le 9 janvier 1890. Lors de la célébration présidée par le cardinal patriarche de Venise, Bakhita reçoit le nom de Joséphine Margaret Fortunata, traduction latine de son nom arabe Bakhita.
Bakhita est restée au catéchuménat des sœurs canossiennes de Venise pendant encore quatre ans, au cours desquels elle a ressenti le besoin de consacrer sa vie à Dieu en tant que religieuse. Elle s'est adressée à la supérieure des sœurs canossiennes de Vérone et a rejoint leur noviciat à Venise en 1893. Après avoir été examinée par le cardinal Giuseppe Sarto, qui deviendra plus tard le pape saint Pie X, elle est autorisée à prononcer ses vœux religieux en décembre 1896.
En 1902, Joséphine Bakhita est envoyée au couvent des sœurs canossiennes de Schio, dans le nord de l'Italie, au pied des Alpes. Elle y restera jusqu'à la fin de sa vie. Elle participe aux humbles tâches de la cuisine, de la sacristie et des travaux d'aiguille ; elle acquiert une réputation de grande sainteté.
Pendant la première guerre mondiale, le couvent de Schio est devenu un hôpital militaire. Sœur Joséphine Bakhita a aidé à soigner les soldats blessés. Et pendant la Seconde Guerre mondiale, les habitants de Schio considéraient Sœur Joséphine Bakhita comme leur sainte particulière qui protégerait la ville du danger.
Dans la réflexion que Mgr Carlassare a partagée avec l'ACI Afrique le 7 février, l'Ordinaire local de Rumbek a rappelé l'influence de Sainte Bakhita sur lui alors qu'il grandissait à Schio.
"J'ai entendu parler d'elle par des témoins oculaires. Nos aînés avaient une grande impression de sa gentillesse et de sa compassion pour toutes les personnes qui visitaient le couvent des sœurs canossiennes. Beaucoup d'enfants venaient chaque jour pour suivre les cours dans l'école dirigée par les sœurs", se souvient ce membre des Missionnaires Comboniens du Cœur de Jésus (MCCJ), né en Italie.
Mgr Carlassare continue : "Sœur Bakhita aimait entrainer les enfants à leur arrivée. Elle n'a jamais eu la chance d'être enseignante dans la classe, mais elle connaissait chaque enfant et était proche de leurs familles dans leurs luttes".
Dans cette réflexion, l'évêque catholique qui a commencé son ministère sacerdotal au Soudan du Sud (alors Soudan) dans le diocèse catholique de Malakal en 2005 se souvient de sainte Joséphine Bakhita "comme compagnons et protecteurs dans la mission parce que j'ai été envoyé pour être missionnaire au Soudan, sa propre terre et son propre peuple."
"Je suis sûr qu'elle intercède auprès du Père pour ma fidélité dans le service et ma générosité dans le don de soi, sans aucun doute ni crainte", a déclaré l'évêque, dont la consécration épiscopale, initialement prévue pour le dimanche de Pentecôte 2021, a été indéfiniment reportée à la suite de l'incident du 26 avril 2021, au cours duquel il a reçu une balle dans les deux jambes.
Mgr Carlassare rappelle que "dans sa vieillesse, la santé de Sœur Joséphine a commencé à décliner, mais elle a supporté ses souffrances avec une grande force d'âme. De nombreuses personnes affluaient pour la voir et entendre ses paroles d'encouragement".
"Elle est décédée en 1947 à l'âge de 78 ans. Le pape Jean-Paul II l'a béatifiée le 17 mai 1992, en la qualifiant de sœur universelle. Et il l'a canonisée comme sainte le 1er octobre 2000", rappelle encore l'évêque catholique dans sa réflexion partagée avec ACI Afrique le 7 février.
"Je saisis l'occasion pour partager trois réflexions personnelles sur sa personne. Tout d'abord, je me suis toujours interrogé sur son nom et son identité. Elle a été enlevée à sa famille et nous ne connaissons pas son vrai nom. Soit elle l'a oublié, soit elle l'a caché", poursuit-il, faisant allusion au fait que l'effroi et les terribles expériences vécues par Bakhita lui ont fait oublier le nom que ses parents lui avaient donné.
(L'histoire continue ci-dessous)
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Mgr Carlassare poursuit : "Il s'agit d'un acte de violence terrible perpétré à l'encontre d'une jeune enfant : les ravisseurs lui ont enlevé son identité pour lui en donner une nouvelle, celle de Bakhita. Que peut revendiquer une personne à qui l'on a refusé son identité ? Elle ne peut qu'être asservie à ceux qui contrôlent sa vie. Cela a dû être une expérience très douloureuse".
Ce n'est pas tout, précise l'évêque catholique, qui ajoute que Bakhita "a également été torturée avec les cent quatorze cicatrices infligées sur son corps."
Cette expérience de l'esclavage a travaillé en elle en faisant mûrir un chemin personnel tout à fait inattendu", ajoute-t-il, et il rappelle que "Sainte Bakhita elle-même a rapporté aux sœurs : "En tant qu'esclave, je n'ai jamais désespéré parce que je sentais une force mystérieuse qui me soutenait... Je ne me souviens pas de m'être jamais rebellée, même si j'avais eu l'occasion de le faire. Je ne me souviens pas de m'être jamais rebellée, même lorsqu'on me faisait souffrir injustement".
L'évêque Carlassare, qui, tout en se remettant de l'attentat contre sa vie, a offert sa douleur pour la purification du diocèse de Rumbek, où il avait été nommé pasteur, s'inspire de Bakhita et pose la question suivante : "Quel est le secret de sainte Bakhita ? Quel est le secret d'un tel renversement de toute dynamique humaine habituelle ?"
"Nous savons combien il est facile de réagir par la colère, la peur et le désespoir lorsque nous sommes blessés dans notre dignité. Souvent, la personne blessée blesse à son tour dans une vaine tentative d'obtenir justice. La personne opprimée devient facilement un oppresseur encore plus cruel. En effet, la personne opprimée apprend de l'oppresseur à lui ressembler", explique-t-il.
En la personne de Sainte Bakhita, dit Mgr Carlassare, "nous voyons l'accomplissement du plan de Dieu en elle".
L'évêque catholique, qui a eu une rencontre privée avec le Pape François avant son ordination épiscopale du 25 mars 2022, se souvient du partage du Saint-Père lors de l'audience générale du 11 octobre 2023, qui, selon lui, "s'exprime bien" en la personne de Sainte Bakhita. Le Saint-Père a déclaré : "La vocation des opprimés est de se libérer eux-mêmes et de libérer leurs oppresseurs, en devenant des restaurateurs de l'humanité. Ce n'est que dans la faiblesse des opprimés que peut se révéler la force de l'amour de Dieu, qui libère les uns et les autres".
Une autre pensée "personnelle" que Mgr Carlassare partage à propos de sainte Bakhita est le symbolisme du crucifix.
Je me suis toujours interrogé sur la signification du crucifix pour elle, car elle est née dans un environnement africain traditionnel et a été élevée dans un contexte islamique (avec) peu de compréhension de la valeur de la croix du Christ", dit-il en parlant de sainte Bakhita.
Mgr Carlassare poursuit en rappelant que Bakhita a reçu un jour "un petit crucifix de son tuteur, M. Illuminato Cecchini" et que, n'ayant "jamais rien possédé, elle l'a gardé (jalousement) comme un trésor. En le regardant, elle a connu une profonde libération intérieure parce qu'elle se sentait aimée et donc capable d'aimer à son tour".
Bakhita révélera ensuite : "L'amour de Dieu m'a toujours accompagnée d'une manière mystérieuse... le Seigneur m'a tant aimée : il faut aimer tout le monde... Il faut avoir de la compassion ! Il faut avoir de la compassion", se souvient encore Mgr Carlassare.
Selon Mgr Carlassare, "Sainte Bakhita a été transformée par les paroles du Christ sur la croix : Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font". Elle a senti que "si Judas avait demandé pardon à Jésus, il aurait lui aussi trouvé la miséricorde". Le pape François a déclaré que "la vie de sainte Bakhita est devenue une parabole existentielle du pardon".
Il poursuit : "En fait, saint Bakhita avait l'habitude de dire : "Pauvres gens ! Ils - les ravisseurs - ne savaient pas qu'ils me faisaient tant de mal : ils étaient les maîtres et j'étais leur esclave... De même que nous sommes habitués à faire le bien, les esclavagistes ont agi ainsi par habitude, et non par méchanceté... Si je rencontrais les esclavagistes qui m'ont enlevée, et aussi ceux qui m'ont torturée, je m'agenouillerais et je leur baiserais la main, parce que si cela n'était pas arrivé, je ne serais pas chrétienne aujourd'hui".
"Le pardon l'a libérée. Elle a d'abord accueilli le pardon de Dieu et son amour miséricordieux. Ensuite, elle a pu pardonner, et le pardon a fait d'elle une femme libre, joyeuse et aimante", déclare Mgr Carlassare à propos de sainte Joséphine Bakhita.
Le chef de l'Église catholique, qui a envisagé la renaissance du centre de guérison des traumatismes qui fournissait une assistance psychosociale aux agents pastoraux, y compris les membres du clergé et les femmes et les hommes religieux au Soudan du Sud, dit que le pardon a permis à Sainte Bakhita "de vivre loin de sa terre natale et de ses proches, de renaître chaque jour là où le Seigneur l'avait appelée avec de nouveaux frères et sœurs. Elle a certainement fait preuve de patience et de pardon envers ceux qui la traitaient maladroitement comme une personne moins humaine".
Rappelant une fois la lamentation de sainte Bakhita selon laquelle "tout le monde me regarde comme si j'étais une bête rare", Mgr Carlassare déclare : "Le pardon l'a désarmée et l'a aidée à se laisser aimer par les habitants de Schio autant qu'ils en étaient capables. Ensuite, le pardon lui a permis d'aimer à son tour avec la simplicité et la concrétude d'un sourire, d'une caresse, d'un geste de charité. Le pardon lui a fait vivre le service non pas comme un esclavage, mais comme l'expression du don gratuit de soi".
La troisième pensée "personnelle" que Mgr Carlassare partage à propos de sainte Bakhita est "sa vocation à servir".
Il dit de sainte Bakhita : "Une fois libérée de l'esclavage, elle a librement choisi de devenir servante, de porter sur ses épaules les fardeaux des autres. Et elle l'a fait en tant que sœur de la Congrégation des Filles de la Charité Canossiennes".
"À l'époque, les sœurs (canossiennes) étaient toutes italiennes. Où a-t-elle trouvé le courage de demander à être l'une d'entre elles ? J'aime penser à sa visite dans l'une des églises de Venise où se trouve l'image d'une Marie noire", se souvient Mgr Carlassare.
Il poursuit : "Dieu ne regarde pas notre apparence physique, mais il regarde au plus profond de nos cœurs. Nous sommes tous ses enfants. Peu importe d'où nous venons, à quelle classe sociale nous appartenons ou autre. Chaque personne humaine est précieuse aux yeux de Dieu. Chaque personne a une vocation et une mission. En ce sens, sa vie est un véritable miracle de Dieu".
Pour Mgr Carlassare, "Sainte Bakhita, par son exemple, nous montre le chemin pour être enfin libérés de ce qui nous asservit, de nos servitudes et de nos peurs. Elle nous aide à démasquer nos hypocrisies et notre égoïsme, à surmonter nos rancœurs et nos conflits."
Selon l'Ordinaire local du diocèse de Rumbek, Sainte Bakhita "nous encourage à nous réconcilier avec nous-mêmes et à trouver la paix dans nos familles et nos communautés. Elle nous offre une lueur de lumière et d'espoir pour surmonter les divisions et la méfiance dans nos communautés et promouvoir l'unité et la paix".
Une statue de sainte Bakhita sera placée sur la place Saint-Pierre au Vatican. La sculpture en bronze, œuvre de l'artiste catholique Timothy P. Schmalz, est dédiée aux victimes de la traite des êtres humains et à toutes les femmes, en particulier les religieuses, qui s'efforcent de libérer les femmes de l'esclavage moderne.
L'œuvre d'art représente Sainte Bakhita libérant une masse de personnes de la clandestinité. Elle devait arriver au Vatican avant la Journée internationale de prière et de sensibilisation contre la traite des êtres humains, le 8 février.
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