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Un responsable de Caritas Afrique espère que les réunions à Washington atténueront la crise de la dette en Afrique

La Secrétaire exécutive régionale de Caritas Afrique a tiré la sonnette d'alarme sur la crise croissante de la dette dans les pays africains, et a exprimé l'espoir que les récentes réunions que les financiers mondiaux ont tenues à Washington DC aboutiront à une « remise de dette » bien structurée pour le continent.

Dans sa réflexion à la suite de la série de réunions tenues du 21 au 25 octobre par le Fonds monétaire international (FMI) et le Groupe de la Banque mondiale, Lucy Afandi Esipila a souligné la nécessité de ce qu'elle a décrit comme « une architecture financière audacieuse et innovante », notant que de nombreux pays africains croupissent dans la pauvreté alors qu'ils luttent pour assurer le service de leurs dettes qui, selon elle, sont assorties de « taux d'intérêt exorbitants ».

Dans la réflexion qu'elle a partagée avec ACI Afrique le lundi 5 novembre, Mme Esipila déclare que les réunions « ont présenté une opportunité stratégique » d'amplifier les voix des leaders religieux, qui ont participé, en particulier en ce qui concerne ce qu'elle a décrit comme « le besoin urgent » d'annuler les dettes injustes.

Lucy Afandi Esipila. Crédit : Caritas Afrique

« Ces réunions ont eu lieu alors qu'il est de plus en plus évident que la crise actuelle de la dette à laquelle sont confrontées les nations africaines est sans précédent, caractérisée par une accumulation écrasante de la dette », explique la Secrétaire exécutive régionale de Caritas Afrique, basée au Togo.

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Elle ajoute que « l'architecture de cette dette a évolué, entraînant un nombre croissant de sources d'endettement étrangères, y compris des créanciers privés et bilatéraux comme la Chine. Actuellement perçues comme un problème de liquidité, les économies africaines accumulent les prêts tout en consacrant une part importante de leurs revenus internes limités au service de la dette avec des taux d'intérêt exorbitants. »

Dans sa réflexion, Mme Esipila exprime son optimisme quant au fait que les préparatifs de l'année jubilaire 2025 de l'Église catholique seront l'occasion pour les prêteurs d'envisager d'annuler les dettes des pays africains qui peinent à payer.

Le pape François a déclaré 2025 année jubilaire sur le thème « Pèlerins de l'espoir ». Il a exhorté les nations riches à envisager d'annuler les dettes des pays qui ont du mal à payer, soulignant que cette question va au-delà de la générosité ; c'est fondamentalement une question de justice », affirme-t-elle.

La Secrétaire exécutive régionale de l'entité qui regroupe 46 organisations africaines membres de Caritas Internationalis (CI), née au Kenya, affirme que Caritas Africa « fait écho à l'appel du Saint-Père », en s'inspirant de la Campagne pour une reprise économique inclusive en Afrique, menée par Caritas Africa, le comité régional de plaidoyer et ses organisations membres.

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Prenant l'exemple de son pays natal, le Kenya, Mme Esipila note qu'en juin 2024, le service de la dette publique du Kenya absorbera 69,6 pour cent des revenus nationaux, dépassant largement la limite recommandée de 30 pour cent.

Elle explique que cette situation a contraint le pays d'Afrique de l'Est à envisager des mesures d'austérité, qui comprennent la réduction des dépenses publiques pour les services essentiels tels que l'éducation et les soins de santé, et l'augmentation des recettes par le biais de taxes plus élevées et de la vente d'entreprises d'État.

Elle poursuit en mettant l'accent sur le projet de loi de finances 2024 controversé, rappelant que le projet de loi avait déclenché des manifestations dans tout le pays, les citoyens exprimant leurs préoccupations concernant la détérioration de l'économie et les politiques fiscales qu'ils ne trouvaient pas conformes à leurs priorités.

Mme Esipila regrette qu'en dépit des nombreux projets, programmes et interventions mis en avant lors des réunions annuelles du FMI et du Groupe de la Banque mondiale, les réalités de l'Afrique restent désastreuses.

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« Des millions de jeunes sont au chômage, d'innombrables personnes se couchent le ventre vide en raison d'un système alimentaire défaillant qui pousse beaucoup d'entre elles dans la pauvreté, et beaucoup n'ont pas les moyens de se payer des soins de santé. Ces problèmes sont interconnectés », dit-elle dans sa réflexion partagée avec ACI Afrique le 4 novembre.

Elle observe que le défrichage des terres pour la production alimentaire, en particulier par le biais de l'agriculture mécanisée, contribue fortement au changement climatique en Afrique.

En outre, l'utilisation de produits chimiques et d'engrais nocifs pour stimuler la production alimentaire soulève d'importantes préoccupations en matière de sécurité alimentaire et affecte négativement la santé des sols, affirme Mme Esipila, qui ajoute : « L'espace fiscal pour faire face aux changements climatiques, parmi d'autres besoins urgents, est sévèrement limité, ce qui laisse peu de place à la création d'emplois et à la mobilité ascendante. »

 

Dans sa réflexion, la responsable de Caritas Afrique souligne la nécessité de réfléchir à l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) à l'approche de l'année jubilaire 2025 de l'Eglise catholique.

Lancée par le FMI et la Banque mondiale en 1996, l'initiative PPTE a été conçue pour veiller à ce que les pays les plus pauvres du monde ne soient pas accablés par des dettes ingérables ou insoutenables.

Selon Mme Esipila, au début des années 2000, l'initiative a permis aux pays africains de réorienter les économies réalisées grâce à l'allégement de la dette vers des initiatives de réduction de la pauvreté.

« Ce programme essentiel a fourni un cadre dans lequel les emprunteurs étaient impatients de s'engager », dit-elle, ajoutant qu'en revanche, le Cadre commun pour le traitement de la dette, approuvé par le G20, “est lent et manque de clarté par rapport à l'initiative PPTE”.

Le Cadre commun pour le traitement de la dette a été lancé en novembre 2020 pour aider les pays à faible revenu à restructurer leur dette.

Cette initiative vise à résoudre les problèmes urgents liés à la viabilité de la dette, tels que l'expiration du soutien lié au COVID, l'accumulation d'arriérés, la réduction des dépenses prioritaires et le resserrement des conditions financières internationales. En outre, elle cherche à coordonner les efforts des différentes institutions et agences gouvernementales.

Soulignant les lacunes du cadre, Mme Esipila déclare : « De nombreuses nations africaines continuent de rembourser leur dette au détriment de dépenses vitales en matière de santé, d'éducation, de développement humain et d'initiatives climatiques. Elles n'évitent pas de demander un allègement de la dette parce qu'elles sont en mesure de la rembourser, mais plutôt parce qu'il n'existe pas de processus fiable pour y parvenir. Cela met en évidence un contraste important avec l'initiative PPTE ».

Elle note que le message de Caritas Africa dans le cadre de la Campagne pour une reprise économique inclusive en Afrique a constamment évolué, guidé par le dialogue avec les partenaires de mise en œuvre et les contributions des organisations membres qui s'engagent auprès des décideurs dans leurs pays.

« Nous insistons sur le fait que les gouvernements africains ont besoin d'un financement concessionnel supplémentaire pour faire face aux défis fiscaux à court terme pendant que les négociations pour un cadre de gestion de la dette plus complet sont en cours, » dit-elle.

Mme Esipila note que l'Association internationale de développement (IDA), la branche de la Banque mondiale consacrée aux pays à revenu faible et moyen inférieur, est l'une des plus importantes sources d'aide au développement pour les nations les plus pauvres du monde.

L'association, poursuit-elle, accorde des subventions et des prêts hautement subventionnés à ses pays clients. Toutefois, les fonds de l'IDA doivent être reconstitués par les donateurs tous les trois ans. « L'augmentation du portefeuille actuel de l'IDA pourrait constituer une autre mesure d'atténuation efficace », déclare-t-elle.

« Nous continuons à plaider en faveur d'une réforme de l'architecture globale de la dette », insiste Mme Esipila, ajoutant que les processus d'allègement de la dette devraient commencer par “une suspension immédiate des paiements de la dette, idéalement en cessant les paiements à la demande du débiteur jusqu'à ce que les mesures d'allègement nécessaires soient clarifiées”.

« En outre, poursuit-elle, ces processus doivent être exhaustifs et garantir que les débiteurs sont protégés contre tous les créanciers, et pas seulement contre quelques uns d'entre eux.

« Nous demandons instamment des changements législatifs à New York et dans d'autres juridictions pour protéger les débiteurs contre les poursuites des créanciers privés. Enfin, un financement adéquat doit être alloué pour répondre aux besoins de nos pays en matière de développement humain et de dépenses climatiques », affirme-t-elle.

La responsable de Caritas Afrique reconnaît toutefois que l'annulation de la dette des pays africains sera inefficace si elle ne s'accompagne pas d'une demande de gouvernance meilleure et plus transparente.

Mme Esipila affirme qu'une remise de dette efficace pour l'Afrique peut être obtenue par des investissements intentionnels qui facilitent la surveillance de la gestion de la dette publique par les citoyens.

Agnes Aineah