Frères et sœurs, ce soir, nous pourrions nous demander : En quel Dieu croyons-nous ? Au Dieu de l'incarnation ou au Dieu de l'accomplissement ? Car il y a toujours un risque que nous célébrions Noël en pensant à Dieu en termes païens, comme à un puissant potentat dans le ciel ; un dieu lié au pouvoir, au succès dans le monde et à l'idolâtrie du consumérisme. Avec la fausse image d'une divinité distante et irritable qui traite bien les bons et mal les mauvais ; une divinité faite à notre image et à notre ressemblance, pratique pour résoudre nos problèmes et éliminer nos maux. Dieu, en revanche, n'est pas une baguette magique ; ce n'est pas un dieu du commerce qui promet "tout en même temps". Il ne nous sauve pas en appuyant sur un bouton, mais il s'approche de nous pour changer notre monde de l'intérieur. Pourtant, la notion mondaine d'une divinité distante, dominatrice, inflexible et puissante, qui aide les siens à l'emporter sur les autres, est profondément ancrée dans les esprits ! Cette image est souvent ancrée en nous. Mais ce n'est pas le cas : notre Dieu est né pour tous, lors d'un recensement de toute la terre.
Regardons donc vers le "Dieu vivant et vrai" (1 Th 1,9). Le Dieu qui est au-delà de tout calcul humain et qui pourtant se laisse compter par notre comptabilité. Le Dieu qui révolutionne l'histoire en faisant partie de l'histoire. Le Dieu qui nous respecte au point de nous permettre de le rejeter ; qui supprime le péché en le prenant sur lui ; qui n'élimine pas la douleur mais la transforme ; qui ne supprime pas les problèmes de nos vies mais nous accorde une espérance qui est plus grande que tous nos problèmes. Dieu désire tellement embrasser nos vies que, tout infini qu'il soit, il devient fini pour notre bien. Dans sa grandeur, il choisit de devenir petit ; dans sa justice, il se soumet à notre injustice. Frères et sœurs, voilà la merveille de Noël : non pas un mélange d'émotions et de satisfactions mondaines, mais la tendresse sans précédent d'un Dieu qui sauve le monde en s'incarnant. Contemplons l'Enfant, contemplons la crèche, son berceau, que les anges appellent pour nous "un signe" (cf. Lc 2, 12). C'est en effet le signe qui révèle le visage de Dieu, un visage de compassion et de miséricorde, dont la puissance se manifeste toujours et seulement dans l'amour. Il se fait proche, tendre et compatissant. C'est la voie de Dieu : proximité, compassion, tendresse.
Sœurs et frères, émerveillons-nous du fait qu'il " s'est fait chair " (Jn 1, 14). Chair : le mot même évoque notre fragilité humaine. L'Évangile utilise ce mot pour nous montrer que Dieu a complètement assumé notre condition humaine. Pourquoi s'est-il donné tant de mal ? Parce qu'il se soucie de nous, parce qu'il nous aime au point de nous considérer comme plus précieux que tout. Cher frère, chère sœur, pour Dieu, qui a changé l'histoire en un recensement, tu n'es pas un numéro, mais un visage. Ton nom est écrit sur son cœur. Mais si vous regardez votre propre cœur, si vous pensez à vos propres insuffisances et à ce monde qui juge et ne pardonne pas, vous aurez peut-être du mal à célébrer ce Noël. Vous pouvez penser que les choses vont mal, ou vous sentir insatisfaits de vos limites, de vos échecs, de vos problèmes et de vos péchés. Mais aujourd'hui, s'il vous plaît, laissez Jésus prendre l'initiative. Il vous dit : "À cause de vous, je me suis fait chair ; à cause de vous, je suis devenu comme vous". Alors pourquoi rester prisonnier de vos problèmes ? Comme les bergers qui ont quitté leurs troupeaux, laissez derrière vous la prison de vos peines et embrassez l'amour tendre du Dieu qui s'est fait enfant. Mettez de côté vos masques et vos armures ; déchargez-vous sur lui de vos soucis et il prendra soin de vous (cf. Ps 55, 22). Il s'est fait chair, il ne cherche pas vos réussites mais votre cœur ouvert et confiant. En lui, tu redécouvriras qui tu es vraiment : un fils ou une fille bien-aimé(e) de Dieu. Maintenant tu peux y croire, car ce soir le Seigneur est né pour illuminer ta vie, ses yeux sont allumés d'amour pour toi. Nous avons du mal à croire que les yeux de Dieu brillent d'amour pour nous.
Le Christ ne regarde pas les chiffres, mais les visages. Cependant, qui le regarde au milieu des nombreuses distractions et de la course folle d'un monde affairé et indifférent ? Qui regarde ? À Bethléem, alors que les foules étaient prises dans l'excitation du recensement, allant et venant, remplissant les auberges et se livrant à des conversations insignifiantes, quelques-uns étaient proches de Jésus : Marie et Joseph, les bergers, puis les mages.
Prenons exemple sur eux. Ils se tenaient debout, le regard fixé sur Jésus, le cœur attaché à lui. Ils n'ont pas parlé, ils ont adoré. Ce soir, mes frères et sœurs, c'est le temps de l'adoration, de l'adoration.
L'adoration est le moyen d'embrasser l'Incarnation. Car c'est dans le silence que Jésus, le Verbe du Père, se fait chair dans nos vies. Faisons comme eux, à Bethléem, ville dont le nom signifie "maison du pain". Tenons-nous devant celui qui est le Pain de Vie. Redécouvrons l'adoration, car adorer, ce n'est pas perdre son temps, mais faire de son temps une demeure pour Dieu. C'est laisser fleurir en nous la semence de l'Incarnation, c'est coopérer à l'œuvre du Seigneur qui, comme le levain, change le monde. Adorer, c'est intercéder, réparer, permettre à Dieu de réorienter l'histoire. Comme l'a écrit un jour un grand conteur d'épopées à son fils : "Je te propose la seule grande chose à aimer sur terre : le Saint-Sacrement... C'est là que tu trouveras la romance, la gloire, l'honneur, la fidélité et le vrai chemin de toutes tes amours sur terre" (J.R.R. TOLKIEN, Lettre 43, mars 1941).
Frères et sœurs, ce soir, l'amour change l'histoire. Fais-nous croire, Seigneur, à la puissance de ton amour, si différent de la puissance du monde. Seigneur, fais que, comme Marie, Joseph, les bergers et les mages, nous nous rassemblions autour de toi et que nous t'adorions. En nous conformant de plus en plus à toi, nous témoignerons devant le monde de la beauté de ton visage.